Réserve humaine - Un projet d'Isabelle Kraiser

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24 mai 2011

Sauvage

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Chez Eruoma, l'autre soir j'ai regardé sur la chaîne de télévision canal D le documentaire "Sauvage" du Québécois Guillaume Sylvestre. Ce film était à la une du supplément culturel du journal Le Devoir. La journaliste en fait une critique constructive et insiste sur le fait que la réalité qui est montrée dans le film reste totalement étrangère à la plupart des Québécois. Le réalisateur lui-même, dit-elle ne connaissait pas du tout les gens des communautés.

Pourtant, lorsque j'ai regardé Sauvage, je me suis tout de suite retrouvée en terrain connue. Les mots échangés, murmurés, les images de ces communautés, Atikamek, Malécite, Huron-Wendat parlent à l'infini de racines, de tradition, de génocide, de larmes, de combats, de drogue, d'espoir aussi et d'ouverture sur le monde des quatre races humaines. Alors comment se fait-il que les hommes des premières nations soient des inconnus, des oubliés sur leur propre territoire, auprès de leurs propres concitoyens ?

Le meilleur moyen de les anéantir n'est-il pas de ne pas les voir ? de les effacer de son champ de vision pour qu' effectivement ils disparaissent à jamais de la surface de la terre ?

Je trouve cet état de fait terrible parce que cet aveuglement est si intégré dans l'inconscient collectif qu'il n'y a même pas de mauvaise conscience à éprouver.

C'est le mépris ultime, la négation de l'autre, un génocide perpétré non pas par des armes mais par une représentation mentale négationiste accumulée depuis des siècles.

Eruoama retrouve dans le film, son amie Sabrina Boivin et son père, Atikameks de Wemontaci. Il parle de la misère qu'il a eu à sortir sa fille de la drogue mais est fier d'y être parvenu. Lui, personne n'est venu le sauver, il en est sorti tout seul.

Eruoma me dit "Sauvage c'est un mot magnifique ". Dans ces yeux, je vois la fierté, elle est si belle mon amie. On l'appelle l'Oursonne.

23 mai 2011

Le hasard n'existe pas

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Dans la vie il y a des signes et d'étranges coïncidences, des rencontres qui ne sont pas le fruit du hasard. Selon moi, les choses sont écrites et le destin nous offre souvent des cadeaux merveilleux si on veut bien se donner la peine de les recevoir.

Je suis venue au Québec pour poursuivre Réserve humaine à l'invitation de Michèle Prince, française, grand-mère de deux jolis petits enfants et étudiante en doctorat à l'Université Laval. Notre rencontre est déjà le fruit d'une drôle d'histoire.

Un samedi matin du mois de mai 2010 elle m'a entendue sur les ondes de Radio Québec, dans la belle émission de Rodolphe Martinez "billet de France". On évoquait ensemble mon exposition à l'artothèque de Pessac. J'exprimais alors mon désir de montrer ce travail à Québec. La journaliste bien sympathique en avait rajouté une couche en insistant sur le fait que ce serait vraiment intéressant effectivement de montrer "Réserve humaine" dans la capitale. En moins de quelques heures, je recevais un courriel de Michèle Prince qui m'exprimait son grand intérêt et l'envie de me rencontrer.

Ainsi, il y a un peu moins d'un an, j'ai eu le plaisir de la connaître et nous avons débuté ensemble un projet ambitieux de collaboration. Elle était prête à faire bouger tous ses réseaux pour trouver des partenaires et un lieu d'exposition.

Depuis, grâce à elle le projet a pris corps et s'est même étoffé impliquant le Centre des loisirs et le Comité du quartier Saint-Sacrement ainsi que la Maison des Jésuites de Sellery qui fait partie des musées de la Ville de Québec et s'intéresse plus particulièrement au dialogue entre Québécois et Autochtones.

L'idée qui émerge aujourd'hui s'est d'amener des artistes de la Communauté de Mashteuiatsh à s'exprimer et montrer leur travail dans le cadre de Réserve Humaine, autour du jardin de la gratitude, que nous avions ébauché en 2010 avec Sonia Robertson et Eruoma.

Le Centre des loisirs souhaiterait aussi qu'on donne la place à des rencontres entre des artistes québécois de Saint-Sacrement et les artistes autochtones. Favoriser l'échange entre les deux communautés et ainsi amener le public de Québec à mieux connaître la culture amérindienne. Provoquer un dialogue pour une reconnaissance mutuelle.

Et aujourd'hui je suis campée à un endroit précis. Je vois un embranchement fait de deux chemins de terre bordés de conifères. Il y a le silence entrecoupé de chants d'oiseaux, perdus au loin.

Un chemin rouge, un chemin blanc et le coeur du tambour qui bat. je vous avais bien dit que le hasard n'existe pas.

22 mai 2011

Un feu au coeur de mes bras

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Je reviens à Québec depuis peu pour continuer cette belle aventure de "Réserve humaine". Avec le projet de prolonger cette histoire en compagnie cette fois d' amis de Québec. "Des blancs" qui s'intéressent à ma démarche et veulent à partir d'elle susciter un dialogue entre Québécois et Autochtones. Même dans mon rêve le plus élevé, je ne pensais pas en arriver là aujourd'hui.



Imaginez une petite française qui a débarqué, il y a presque deux ans sans rien savoir sur la terre inconnue de Mashteuiatsh, sur cette grande route qui ne voulait rien me dire.

Ce fut abrupt, difficile et délicat au départ. Devant mes yeux il y avait un paysage qui ne me donnait à voir que son lac immobile. Un pas puis un autre le long de cette bande de béton avec les tipis de pierre aux 5 saisons qui restaient muets.

Heureusement il y avait eu le feu au bord du lac à l'aube de mon premier jour pour la cérémonie du solstice. Ce feu je l'ai depuis porté au creux de mes bras. Il m'a donné le courage et la sincérité pour que je puisse franchir le seuil de bien des coeurs de la communauté. Il y a eu alors des regards chaleureux, de tendres embrassades avec Thérèse, kukum Germaine, Diane et son mari, Claudie et Denis, Claude Robertson et sa femme Réjane ... et d'autres si belles personnes encore.

Demain matin, comme les autres fois j'embarque par l'autobus de 7H20 destination Roberval. Monsieur Robertson viendra me chercher pour me conduire à son auberge. Comme d'habitude, il me donnera la chambre canard. Elle est comme un petit nid, douillette. Sa fenêtre donne sur la voie ferré. Cette voie ferré qui n'en finit jamais de laisser passer son train de marchandise qui hurle chaque nuit mais que je n'entend pas.

30 juin 2010

Communion

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L'installation de l'exposition est terminée et j'ai pu visionner enfin in situ le diaporama "Réserve humaine" que Jean-François a réalisé. 11 mn d'images en mouvement qui s'accordent aux sons et aux voix de Mashteuiatsh. Une succession de beaux témoignages contemporains qui évoquent à la fois l'attachement à son identité et aux pratiques ancestrales, l'amour du territoire et les marques douloureuses de l'histoire de la colonisation.

Je suis fière de cette réalisation qui peut parfaitement s'intégrer dans le programme du musée en tant que témoignage d'une réalité d'aujourd'hui et outil documentaire. Il se dégage aussi une immense tendresse de ces voix et des ces visages. C'est un grand privilège pour moi qu'il me soit permis de contribuer à valoriser le patrimoine de la communauté. J'ai aussi remis à Louise Siméon, directrice du Musée, l'ensemble des photos et enregistrements pour les archives.

Ce matin à 8h15 interview avec Roger à Chuck Fm accompagnée d'Eruoma pour annoncer le nipin de ce soir. Il m'interrogeait sur la facilité avec laquelle les gens se sont confiés à moi. Eruoma a redit combien elle est étonnée de tant de complicité et de confiance à l'égard d'une "étrangère". J'ai évoqué ma capacité d'empathie et mon amour toujours renouvelé pour l'autre, celui et celle que je découvre, celui et celle qui m'embarque à travers ses mots. Alors je pars en voyage avec l'autre , je franchis la barrière de la différence et je communie et l'un et l'autre devient un.

29 juin 2010

S'exposer

lune.jpg Photo de Jean-François, pleine lune sur le lac Saint-Jean - 26 juin 2010.

Ce matin à 8h00 nous nous sommes rendus au musée pour débuter l'installation de l'exposition qui sera inaugurée mercredi soir. Eruoma dirige les opérations avec douceur, c'est une belle jeune personne. Au fur et à mesure que les heures se sont écoulées, les portraits des hommes et des femmes de Mashteuiatsh ont pris leur place sur le grand mur de la petite salle polyvalente où il y a toujours Maude qui brode ses perles sur la peau d'orignal et Claudine Raphaël si discrète qui confectionne de jolies boucles d'oreilles pour la boutique du musée.

J'étais très émue de voir tous ces beaux visages alignés aux regards tendres, complices, rieurs ou rêveurs, les rides creusées de vie, les sourires. Derrière chaque visage il y a des arrières plans toujours flous remplies d'arbres, de ciels, d'eau, de bois, de peintures et qui me ramènent aux évocations, aux poèmes et aux chants que chacun m'a offerts . Je trouve que le rendu photographique est très différent de ce que j'ai pu voir le plus souvent ici. Portraits serrés sans aucun folklore, juste une humanité universelle très simple dans une succession de petits cadres.

Je souhaite que cette exposition soit un espace d'échange aussi je vais proposer à tous ceux qui le souhaitent d'y participer en plaçant un objet dans la collection du "jardin de la gratitude". J'ai déjà dit combien la notion de gratitude est importante dans la culture autochtone, un état d'être, la base de l'existence et j'ai déjà dit aussi combien cette notion peut être précieuse pour chacun d'entre nous. Dire merci à la vie, à la terre, à son enfant, à son ancêtre, aux arbres, à la lune, à son ami et à son "ennemi". Savoir dire merci à chaque instant pour être vraiment.

27 juin 2010

Quelqu'un

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Quelqu'un dit que les pierres brûlent au bord du lac et qu'elles sont les grand-mères de la communauté, quelqu'un dit que sa mère garde le soleil depuis plus de vingt ans et qu'un jour elle l'a perdu, quelqu'un dit avoir fait un rêve embarqué sur le dos d'un lézard pour pénétrer la grotte de la féminité, quelqu'un dit que la poésie est un moment suspendu hors du temps, quelqu'un dit que le grand serpent de ses mouvements fait trembler la terre, quelqu'un dit que le chaman doit être marié pour faire la tente tremblante, quelqu'un dit que je dois vivre quelques jours enfoncée dans le bois pour écouter les messages du vent et des feuilles, quelqu'un dit qu'un caillou est parti avec un inconnu et qu'un jour il reviendra à son origine ici à Mashteuiatsh, quelqu'un dit que nous devons accueillir les paroles des anciens comme un trésor inestimable, quelqu'un dit que l'indien est debout tenu bien droit par la profondeur de ses racines, quelqu'un dit que les légendes ne sont plus des légendes mais la réalité du grand esprit incarné, quelqu'un dit parce que bien des hommes parlent à travers les mots qui s'inscrivent si facilement devant mes yeux, quelqu'un dit et ne veut pas être dévoilé, quelqu'un donne et je reçois tant de force et d'énergie, quelqu'un est toujours là en face de moi pour affirmer sa fierté d'être humain, quelqu'un avance sur le chemin rouge et qu'elle est la couleur du mien ?

26 juin 2010

Retrouvailles

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Je suis revenue à Mashteuiatsh depuis jeudi soir. Je ne reviens pas seule. Jean-François m'accompagne et c'est du coup très différent. La solitude de mes voyages précédents est maintenant un souvenir. Au moment où j'écris la cloche sonne me ramenant à tant de moments vécus ici. Quand on voyage en solitaire le temps n'est pas le même, il semble parfois vous oublier dans ses replis, vous immerger dans une latence un peu douloureuse mais qu'on ressent ensuite salutaire. Etre seule et se perdre dans des minutes qui paraissent interminables, faire une succession de faux pas le long des routes vides, attendre un signe, un sourire, un rendez-vous. J'ai repris mes habitudes ici y entraînant Jean-François, le café clair chez Claudie et Denis à parler du Pow-Wow et de la sun dance, le souper si chaleureux chez Thérèse avec toute sa grande famille réunie, les mots échangés au Musée avec Richard et Edouard à évoquer les pierres, le bois et les rêves de bêtes. Mashteuiatsh est au milieu de rien et ici on a toujours l'impression d'être isolé, loin de toute civilisation ou du moins de tout lieu de la vie courante. J'ai déjà eu l'occasion d'évoquer cette sensation de vide qui peut être un peu angoissante. Aussi, nous avons pris le taureau par les cornes comme on dit chez nous et nous avons décidé de louer des vélos ! Pour la première fois je suis sortie de la réserve pour aller à Saint-Prime à quelques 7 km sur la route au nord ouest. Nous avons emprunté la fameuse piste cyclable des bleuets où des centaines de cyclistes se croisent en été pour faire une grande boucle autour du lac qui peut prendre plusieurs jours. Pour notre part, nous resterons modestes en tentant quelques petites escapades aux alentours.

Ce soir accueillera la pleine lune. J'aimerai aller la saluer au bord du lac avec les femmes de Mashteuiatsh. Je me suis arrêtée à l'épicerie Paul pour acheter le tabac que je pourrai offrir au feu en signe de gratitude si la cérémonie s'accomplit à la nuit tombée. Sonia me fera signe.

23 mar. 2010

je vois

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Je vois un grand lac gelé, je vois mur peint de montagnes, je vois un tambour avec trois trous entre les mains de Kukum Germaine, je vois les trois nations autochtones du Québec Ilnue, Atikamek et Crie, je vois le Régalia de Diane où est inscrit sa vie, je vois G-Rock trapper au fond du bois, je vois Jean-René dans sa voiture qui me dit que sa fille s'est tuée à l'âge de 15 ans, je vois les larmes de Sonia qui parle d'un jeune homme sauvé par la Sun Dance, je vois l'outarde que l'on donne pour remercier, je vois le sourire de Thérèse qui me préprare un gâteau aux bleuets, je vois Carmen Guill avec son petit chapeau sur la tête qui prononce des mots de réconciliation et de paix, je vois le cimetière anglican avec ses croix de bois blanches et bleues arrâchées, je vois une succession de maisons pimpantes et lisses qui cachent bien des drames, je vois des femmes prier sous le clair de lune, je vois les saisons gravées sur les tipis de granit le long de la rue Ouiatchouan, je vois Richard évoquer les pierres brûlantes qui lui parlent au nom des grand-pères et des grand-mères, je vois Edouard qui me donne un poème, je vois Marie-Eve qui travaille tant pour les amis de l'école Amishk -Castor, je vois Dominique épuisée de porter son fils schizophrène à bout de bras parce que son père lui a brisé la vie en se tirant une balle de fusil dans la bouche devant ses yeux , je vois Rachel gravir la montagne pour aller chercher les bleuets en été, je vois le tabac dans le feu, je vois le pâté d'Orignal scintillant sur une tranche de banique, je vois le ciel immense et bleu dans l'air froid, je vois les ravages de l'alcool, je vois des livres qui racontent l'histoire des montagnais, je vois l'ancien pensionnat terne devenu aujourd'hui l'école secondaire, je vois une grande plume d'aigle, je vois les cachets de drogue passer de main en main, je vois le train qui passe dans des crissements assourdissant de ferraille avec sa cloche misérable, je vois les traces des anciens qui s'enfonçaient des mois durant au fond en territoire, je vois les tentes prospecteurs aux tapis de branches de sapin, je vois les hommes qui accrochent leur propre peau au mat du sacrifice, je vois l'enfer de la colonisation, je vois le monument à la vierge avec les enfants à genoux, je vois les femmes qui caressent la terre de leur danse, je vois le partage, je vois le grand et noble tambour du pow wow qui voyage, je vois les hommes appartenant à leur terre, je vois le respect, je vois l'amour, je vois le chemin rouge, je vois l'espoir aussi ...

Je repars en France, Tshihishtumitin, merci, je te donne une outarde.

Niaut, aurevoir.

22 mar. 2010

La banique

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Dernière matinée à Mashteuiatsh, je bois un café clair avec Réjane et Claude Robertson, les hôtes de l'auberge. Mariette, la soeur de Claude a tenu à venir me saluer avant mon départ avec un pot de ketchup fait maison. Elle sait que j'adore ce condiment de tomates rouges ou vertes à la fois sucré et vinaigré, mijoté longtemps avec des oignons et qui n'a absolument rien à voir avec l'infâme sauce des supermarchés.

L'autobus pour Québec ne partira qu'à 12h30 alors j'ai le temps pour une dernière visite ce matin.

Pierrette Benjamin et Gilbert Courtois habitent au 1503 Ouiatchouan et m'ont enfin donné rendez-vous. Quelquefois il faut du temps pour se rencontrer vraiment. Il y a la grande table chaleureuse de la cuisine où l'on s'installe pour discuter.

Je demande la permission d'enregistrer. Pierrette et Gilbert ont beaucoup à dire. Elle est enseignante en langue ilnu, nelheun, un mot bien difficile à prononcer. C'est une langue sourde qui semble sortir de la terre. Quand Pierrette parle en montagnais , je perçois des mots venus de la nuit des temps, de très loin. J'imagine les portages en canöe, les sources au fond d'une forêt, le craquement du bois.

Ils se sont mariés pour qu'on ne leur prenne pas leur enfant à la maternité. Dans les années 70, un médecin voleur d'enfants indiens faisait signer de drôles de papier aux femmes célibataires qui venaient accoucher, un acte d'abandon. Gilbert pense que c'était plus facile pour des familles québécoises d'adopter des petits autochtones que des enfants à l'étranger ; en même temps cela contribuait à l'assimilation. Encore une histoire effroyable.

Gilbert est un homme politique puisqu'il est un des six conseillers du Conseil de Bande. Dans moins de deux mois il y aura de nouvelles élections, il ne dit pas s'il se représente. Dans le programme "culture et patrimoine" il a oeuvré pour que " le territoire auquel nous appartenons" soit le socle du relèvement de sa communauté. "Le territoire auquel nous appartenons" signifie que la terre ne nous appartient pas mais que nous appartenons à la terre. C'est une toute autre conception de notre état d'être au monde.

Nous évoquons cette belle vision des hommes attachés à leur terre pendant que tendrement Pierrette partage la banique, le pain traditionnel. Elle m'en offre un beau morceau pour que je l'emporte avec moi.

21 mar. 2010

Savoir attendre

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Hier le vent était glacial et la température a brutalement chutée, -15 degré pour le premier jour du printemps milushkamu. Je suis remontée à pied jusqu'au vieux bâtiment délabré de la Baie d'Hudson pour faire quelques photographies, j'avais les doigts transpercés de froid. Je me disais, en me cachant dans mon bonnet, c'est pas un temps à mettre un français dehors !

Je réfléchie pas mal aux images que je mettrai à l'Artothèque de Pessac pour mon exposition. De grands tirages presque vides : la rue Ouiatchouan qui ne finit jamais, le monument à la Vierge immaculée, l'église peut-être, le pensionnat transformé en collège, les tipis de pierre, le comptoir de la Baie d'Hudson. Et les visages.., figures parfois très lisses...une série de regards qui gardent des secrets, des souffrances et aussi des rêves.

L'art de la rencontre est extrêmement difficile à mettre en oeuvre ici. Qu'est ce que je prend et qu'est ce que je donne ? On m'a dit que j'étais une voleuse d'âmes, que la photographie volait les âmes. Je rentre en relation avec l'autre, il me parle, je l'enregistre, je le photographie et j'écris aussi sur la rencontre. Je me laisse emporter par le souvenir des mots qu'on m'a confiés et peut-être que par la retranscription je viole un peu l'intimité que l'on m'offre si généreusement.

Aujourd'hui je doute et c'est difficile. Je pleure. Je porte en moi quelque chose de toutes les personnes que j'ai rencontrées, photographiées et aimées. Tous ces visages qui m'ont beaucoup donnés ici à Mashteuiatsh et à Bordeaux, à la Résidence Saint-Jean, aux Aubiers, à Bacalan.

Un homme m'a dit que lorsque un grand-père ou une grand-mère raconte une histoire, il faut l'écouter et ne jamais poser de question. L'homme blanc pose trop de questions. Il faut savoir attendre et les choses te sont données. Il faut savoir marcher doucement sur la terre, un pas après l'autre, ne pas creuser. C'est le respect.

20 mar. 2010

Rompre les chaînes

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Hier après-midi G-Rock Dominic est passé me voir à l'Auberge. C'est un ami sur facebook et je ne l'avais jamais rencontré. Lorsqu'il avait su que je venais à Mashteuiatsh, il m'a demandé d'amèner mon tarot pour que je lui dise l'avenir. Cela m'a paru étrange, comment pouvait-il bien savoir que je m'intéresse aux cartes ? Avec Facebook on ne se cache plus, c'est la règle du jeu.

G-Rock a 43 ans et ces premiers mots se perdent déjà dans le bois. Et il m'entraîne dans sa vie en territoire avec la famille , dans sa passion pour la trappe et la chasse. A l'âge de 6 ans il a commencé une vie de chasseur en trappant son premier castor. Actuellement il travaille pour une entreprise sur les terres fédérales, ils surveillent les arbres et la forêt.

Il parle aussi de la discrimination dont il est victime et du racisme. Il s'y est habitué. C'est quelque chose de très fort ici au Québec. Les autochtones sont considérés comme des assistés, des moins que rien qui volent le travail des blancs. Il exprime ce rejet avec une immense tristesse dans sa voix et pourtant dit-il "nous, les autochtones sommes ici chez nous, c'est notre terre". G-Rock en revient à la chasse et à ses règlements qui sont différents pour les amérindiens et pour les Canadiens. Ils sont pour lui très restrictifs. La liberté des anciens qui pouvaient aller partout en territoire, où les notions de propriété et de limite n'existaient pas, s'est effacée à jamais. Les droits ancestraux qui pourtant existent ne sont pas respectés.

En écrivant ces mots je me rend compte qu'un autochtone n'est pas un canadien, qu'un autochtone n'est pas un Québécois. Il fut mis à part et parqué dans une réserve. Les indiens réclament toujours leur autonomie totale et sont les premiers à refuser toute assimilation, toute intégration. Les ententes avec les gouvernements Fédéral et provincial traînent depuis 35 ans et vont d'impasse en impasse. Plus je m'informe, plus je parle avec les gens ici plus je trouve la situation compliquée et inextricable. Le chef Dominique disait l'autre jour, lors d'une réunion, que les discussions sont bloquées avec le premier ministre Canadien . Avec le Gouvernement du Québec, il y aurait une petite ouverture concernant la chasse à l'orignal.

G-Rock regrette que la vie en territoire et les traditions des anciens se perdent alors qu'elles sont indispensables à la bonne évolution de la communauté. Le sujet revient une fois de plus sur le fléau de la consommation d'alcool et de drogues ici. C'est une situation terrible auquel s'ajoute la pratique courante du suicide notamment chez les jeunes.

Pour mon ami, les indiens sont enchaînés et ses chaînes se transmettent de génération en génération. Les grand-parents sont tombés, les parents sont tombés et les enfants tombent. Ils commencent à consommer très jeunes. Ils n'ont que ce modèle et aucun choix. Il insiste "il faut briser les chaînes au bon endroit".

Un groupe de travail s'est formé à Mashteuitatsh pour réfléchir à la mise en place d'un référendum : interdire la vente d'alcool sur la réserve. Je pense que cela n'empêchera pas la consommation, nous sommes juste à dix minutes du supermarché . A l'époque de la prohibition pas si lointaine, combien de gens pris de boisson se sont fait écraser par le train alors qu'ils s'en revenaient de Roberval par la voie ferrée ? Enormément. Il faut la voir la voie ferré de Papa Ottawa (propriété du fédéral) qui coupe Mashteuitash en deux et passe au raz des maisons le long du village.

La voix de G-Rock me ramène au bord du ruisseau au fond du bois, il me fait écouter son chant clair, il me dit que c'est la source de sa spiritualité.

19 mar. 2010

Tiraillements

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A Mashteuiatsh, il y a bien des chicanes et comme partout ailleurs il y a des gens qui n'ont pas du tout les mêmes points de vues.

J'ai discuté ce matin avec Bruno Robertson, un sacré personnage. Je l'avais déjà croisé au Musée un soir de la semaine dernière et il m'avait impressionné. Il avait l'air d'avoir un foutu caractère. Même si j'apprécie énormément son travail de sculpteur, j'avais décidé de ne pas l'approcher et d'attendre. En ce moment il expose des oeuvres au Musée en compagnie de son voisin le peintre Harry Wylde. Hier soir, lors de la soirée organisée par l'école Amishk pour présenter son hymne, Harry est venu vers moi et m'a dit " as-tu-rencontré Bruno Robertson ? Il t'as aperçu l'autre jour quand tu sortais de chez moi et il a demandé à te voir ".

Alors ce matin je cognais à sa porte qu'il m'ouvrit sur un salut bien sympathique. Trés vite, il m'avertit pas de photos et pas d'enregistrement. La photo c'est immobile et lui il bouge trop.

Son oncle, ancien chef de la communauté lui a dit un jour "pars vers le nord, suis l'étoile polaire, là-bas tu trouveras une femme esquimau, tu t'embarques avec elle sur un bout de glace et tu tueras du phoque pour manger, tu seras heureux . "

Bruno sculpte le bois d'Orignal, les cornes de toutes sortes. Dans un bois il a fait naître une allégorie, l'histoire de l'homme blanc qui affame la terre avec son chapeau haut de forme trop grand, tout en peau de castor. On voit un indien décharné, il ne reste que l'os de des côtes , une plume émerge au dessus de sa tête pour s'épuiser dans une grande figure d'aigle au bec acéré. C'est une oeuvre magnifique qu'il a fabriquée pour un de ses oncles. Il aime que ces productions restent dans la famille, ils ne souhaitent pas qu'elles partent trop loin de lui.

Bruno Robertson est un homme en colère, un sacré "sauvage", c'est moi qui le lui dit et il éclate de rire. Il s'emporte et hurle presque du fond de sa cuisine en se resservant un café à propos de la spiritualité qui vient du sud. Il fait référence aux rites qui apparaissent depuis quelques temps dans les communautés par ici au Québec, ramenés par quelques "chamans" depuis le Dakota du Sud ou d'autres coins des Etats-Unis. Pour certains ces pratiques étaient là bien avant l'arrivée des curés, ont disparu avec l'évangélisation forcenée. Elles ont été tenaces et vivaces dans les terres plus reculées de l'ouest et du sud du continent américain.Alors ils les ramènent, pour eux c'est un juste retour des choses.

Il devait bien y avoir quand même une spiritualité sur ces terres de la côte Nord avant l'arrivée de l'Eglise, qu'elle était-elle ? Selon lui, personne ne sait, il aurait fallu demander aux anciens.

Je trouve qu'il y a bien des tiraillements sur cette question des croyances, de la spiritualité et de la religion. Pointe bleue est une communauté très métissée et très "évoluée" sur le plan économique, proche de centres urbains avec près d'une centaine de petites entreprises privées. La plupart des gens sont métis de père, mère ou grand-père, grand-mère québécois d'origine européenne catholique ou anglicane. Pourtant, ils affirment tous avec force leur identité autochtone et sont fiers d'appartenir à la nation des Pekuakamiulnatsh, les hommes du lac peu profond.

Chacun revendique son identité, sa culture et sa langue comme son chemin de vie. Exister par l'appartenance à son peuple parce qu'un jour l'Ilnu a failli disparaître, c'est un acte de survie. Certains disent que le chemin rouge, le chemin de la spiritualité autochtone est la voie de la guérison et ils réaprennent auprès des frères du Dakota à danser, à se sacrifier, à fumer le camulet. D'autres encore vont à la messe, se rendent en pèlerinage au sanctuaire de Saint-Antoine et osent quand même pénétrer avec les grand-pères et les grand-mères dans la tente suante qui purifie.

18 mar. 2010

Peindre c'est voyager

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Ce matin j'ai rendu visite à Rachel Bacon. Elle est née à Pointe bleue, mise au monde par les femmes ici.

Enfant elle était renfermée sur elle même, elle gardait tout à l'intérieur, elle se faisait comme une montagne devant les autres. Elle vivait dans son monde, avec le temps elle a compris qu'elle se faisait beaucoup de mal à vivre ainsi.

Elle a peint sur le grand mur de son salon une forêt entière et des montagnes , une forêt à elle pour se sentir bien. Comme elle est malade, elle n'est pas capable d' y aller.

Quand elle regarde ce paysage elle se souvient de l'époque où elle partait loin dans le territoire, à travers les bois, à gravir les montagnes avec ses parents pour ramasser les bleuets. Toute la famille devait aller loin, passer deux montagnes, charger les canoës, descendre la rivière, franchir le chenal et éviter les endroits d'eau qui "sucent" le canoë et qui alors pouvait être englouti. Son père connaissait les endroits à éviter. Chaque été le père de Rachel ramassait 500 à 600 piastres avec les bleuets qui servaient à nourrir et vêtir les six enfants . L'hiver s'était la chasse aux lièvres et aux castors. Les fourrures lui rapportaient pas mal, elles se vendaient chères à l'époque.

Rachel a été éduquée dans une petite école de Mashteuiatsh et fut employée aux cuisines du pensionnat durant huit ans. Les enfants qui venaient de toutes les réserves environnantes , Manawan, la Tuke, Obidjawn, l'aimaient bien mais elle n'avait pas beaucoup de contact avec eux. Les enfants ne lui disaient jamais rien. Ils gardaient bien leurs secrets.

Rachel reparle de sa passion. 35 ans qu'elle voyage à travers ses peintures. Quand elle peint elle sort d'elle même et de son ordinaire. Elle se sent si libre que c'est comme si personne ne pouvait la toucher. Elle aime aussi parler avec d'autres peintres, c'est un dialogue intense dans lequel elle rencontre comme un double d'elle.

Elle a mis des branches,des baies, des fleurs, des plumes dans son grand paysage sur le mur et repense aux gens qui vivaient dans le bois....

Elle aime être seule, écouter une belle musique, se couper de l'extérieur pour aller dans une autre dimension de vie. Rachel me confie doucement qu'elle fait des voyages astrals, elle sort de son corps.

Quand elle peint, elle peut aller où elle veut. Elle veut grandir dans son esprit et dans l'art. Rachel dit qu'elle veut arriver au sommet de la montagne. Dans la vie il faut toujours regarder devant.

17 mar. 2010

Tout est un jardin

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Ce matin à 8 heures j'étais d'attaque pour aller parler avec Sonia Robertson en direct sur Chuk FM, 107.3, la radio communautaire de Mashteuiatsh.

Nous avons présenté notre projet commun "le jardin de la gratitude" qui sera lancé officiellement au Musée samedi après-midi. L'idée est de construire un projet Franco-Ilnu autour de la notion de GRATITUDE, que je tiens à inscrire en gros caractère .

Roger Dominique me demande si c'est une notion très connue en France. Je déclare que je pense que ce mot n'est pas très employé par chez nous, que c'est une notion dont on ne parle pas tellement. Et une autre question fuse "pourquoi mettre en route un tel projet ?". Roger comme bien d'autres personnes dans la communauté pensaient qu'il s'agissait de faire un vrai jardin.

Selon moi, tout est un jardin. Ma vie est un jardin, ma maison est un jardin, mon corps est un jardin, ma ville est un jardin, le monde est un jardin... et si l'on veut qu'il soit fertile, riche luxuriant, magnifique, odorant, confortable il faut le faire pousser, planter les bonnes graines, en prendre soin, l'aimer.

Je profite du micro pour dire ce qui m'amène à ce désir de GRATITUDE. Je sens ici tellement de plaies, de souffrances accumulées que j'ai envie de déverser des torrents de douceur et d'espoir. Malgré tout, chacun peut remercier le soleil de se lever chaque matin au fond du lac Saint-Jean, chacun peut remercier de sentir le vent sur son visage, chacun peut remercier d'être vivant et d'aimer celui qu'on tient tout près de soi.

Plus il y aura de GRATITUDE, de MERCIS qui sortiront de nos bouches plus nous irons ensemble vers la paix des coeurs et des hommes. C'est le THINISKUMITEN (je te donne une outarde), le don, le partage aussi car pour les autochtones l'acte de donner, de partager est l'expression même de la GRATITUDE.

Lorsque l'orignal tombe, le chasseur donne du tabac à l'animal et à la terre mère. Il le remercie de s'être donné à lui pour le nourrir avec une immense reconnaissance. Nous sommes loin des abattoirs.

Avant de se nourrir l'homme sage donne à la terre et ainsi la remercie pour tous les bienfaits qu'elle donne aux êtres vivants sans limite, sans attente, sans contrepartie. Je pense à Denis et à Pierre.

16 mar. 2010

Echange

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Ce matin je suis repassée chez Raymond Valin que j'avais rencontré la semaine dernière et qui m'avait dit "tu peux venir me voir, j'aimerais ça jazer avec toi". Sur le gros frigo de sa cuisine il a installé ma carte postale représentant une vue de la rue Ouiatchouan au lever du soleil en automne.

Comme il s'apprête à partir pour le bureau de poste, je lui propose de l'accompagner. La journée s'annonce encore bien belle et presque chaude pour un mois de mars avec un vent venant du nord m'indique-t-il.

Raymond est un cousin de Thomas Siméon le sculpteur. Il est aussi le cousin de Madame Huguette chez qui j'étais vendredi soir pour jouer au bingo. En chemin, Raymond me montre telle place où était la maison de sa grand-mère, telle autre où le père de Thomas avait son atelier, il travaillait le bois. Il est mort depuis déjà longtemps mais son nom reste inscrit sur un petit bâtiment en retrait de la route. On a l'impression qu'il est toujours là. Un peu plus loin, une maison défraîchie, Raymond y a habité jusqu'à l'âge de 15 ans. Je le photographie devant.

Il parle du bois, de la chasse, de la pêche, des campements d'indiens qui pour l'été s'installaient au bord du lac et qui ensuite reprenaient leur canoë pour remonter la rivière Peribonka, la rivière Mistassini. Il me dit "ils prenaient chacun leur rivière, partageaient leur bagage lorsque il y avait des rapides".

Le local de la poste est sur le côté de l'immense bâtisse délabrée du comptoir de la cie de la Baie d'Hudson qui a eu son heure de gloire. On y trouvait tous les articles nécessaire à la trappe, la chasse, la pêche. Toutes les familles qui restaient dans le territoire une grande partie de l'année descendaient là pour se ravitailler et c'était pour Raymond un spectacle extraordinaire des les voir débarquer là avec leurs chiens.

A 17 ans il a commencé à faire guide de chasse et de pêche pour les américains qui venaient en masse pour traquer le castor, la loutre, la marte et attraper le saumon sauvage. Au comptoir de la baie d'Hudson il faisait son crédit pour acheter ses bottes et tout son matériel. A ce moment là sa mère lui a dit qu'il devenait responsable de sa personne. "Quand on fait une vie de bois c'est de l'ouvrage, t'embarque pas dans une auto, il faut que tu marches, que tu palettes pour monter la rivière. Tu travailles dur. Si tu veux manger il faut tuer le lièvre, le castor, l'orignal, avant ça ma mère tuait du caribou et même du wapiti qui a disparu depuis longtemps".

15 mar. 2010

De terribles drames

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Hier, je me suis longuement attablée avec Denis et Claudie dans leur grande cuisine chaleureuse, à manger de l'orignal. C'était délicieux, cuit à la façon de Denis dans une poêle généreusement beurrée avec du bon pain chaud, une purée onctueuse, de la salade et des légumes. J'étais heureuse de les retrouver pour blaguer avec eux des heures et des heures pareil à quelques soirées du mois d'octobre passé. Denis est un chaman ou un medecine man mais je sais bien qu'il n'aime pas du tout les étiquettes. Il est sage et aide bien des gens en détresse. Il a demandé son excommunication de l'Eglise catholique par lettre officielle envoyée au Diocèse à Chicoutimi. Quand il vous dit ça, je vous assure qu'on peut lire une belle et immense force dans ses yeux, une grande fierté. La discussion revient sur les pensionnats. Il est passé en commission en Août et toujours aucune nouvelle. Son dossier était irréprochable alors il n'a pas eu à subir une contre expertise. La juge s'est abstenue de lui faire jurer sur la bible. Il aurait de toutes façons refusé. Cette douloureuse histoire des pensionnats est partout ici. Je suis au bord de l'écoeurement. Le pire c'est qu'elle hante encore bien des vies. Bien sûr les vies des petites victimes, adultes aujourd'hui quand elles ont pu survivre, les vies de leurs enfants et celles de leurs petits enfants. J'ai déjà dit à quel point cette tragédie est une malédiction pour "des siècles et des siècles". Une destruction a petit feu, sournoise qui est inscrit dans chaque arbre généalogique, qui se transmet en héritage, inscrit dans le sang, les cellules de toute la lignée des familles. On ne pouvait pas mieux entreprendre un génocide. Entre 1920 et 1970, 150 000 enfants ont été enfermés dans les pensionnats indiens.

Mes amis disent que depuis 2005, date du début de la conciliation, les dépressions et les suicides se sont multipliés. Leur voisin n'a pas supporté de revivre la tragédie et s'est donné la mort cet hiver.

Le seul qui est jugé en fait dans cette affaire des compensations c'est la victime. Elle doit prendre un avocat, décrire ses sévices et les prouver, se faire expertiser et même contre expertiser. Pourquoi ? Pour un dédommagement financier. Jamais aucun des bourreaux ne sera amené au tribunal puisque une clause de protection a été prise par le Gouvernement Canadien pour protéger l'église catholique.

J'ai vu au Musée de Mashteuiatsh la très belle installation de Laurette Grégoire et Elisabeth Kaine intitulée " De terribles drames" où il est écrit :

"On a voulu nous forcer à la sédentarisation.

Mais nous avons été sans cesse déplacés, nos racines arrachées.

Mon frère s'est pendu, ma soeur aussi un peu plus tard

J'ai voulu en parler à mon père, il était ivre mort

Mon fils s'est suicidé à 17 ans, un oiseau tiré en plein vol

J'ai dit à ma fille que j'allais rester là dans ma chaise à ne plus jamais rien faire. A me laisser dessécher comme un vieux fruit ... "

Cet après midi j'ai marché le long du lac au soleil puis je suis montée jusqu'au monument à la Vierge qui honore la mémoire des prêtres oblats-bourreaux du pensionnat. Je me demandais pourquoi il n'y avait pas à sa place un monument commémoratif en mémoire des petites victimes

J'étais triste.

Le jardin de la gratitude

Rencontre autour du Jardin de la gratitude Samedi 20 mars à 13h00 au Musée de Mashteuitatsh _DSC4998.jpg

Kuei,

Sonia Robertson de Mashteuiatsh, Québec et Isabelle Kraiser de Bordeaux, France ont le désir commun de construire un projet dans la communauté autour de l'idée de la gratitude.

« Lors de notre rencontre, nous avons échangé sur les problématiques de la communauté et avons choisi un thème positif comme un pas vers la guérison, autour de l’idée de la gratitude.

Nous vous invitons à vous joindre à nous comme artiste, à venir réfléchir sur ce thème afin de semer les graines d’un projet (jardin communautaire poétique et créatif) qui fleurira cet été, dans le cadre des soirées Nipin le 30 juin.

C’est donc avec la venue du printemps que nous vous convions au Musée amérindien ce samedi 20 mars à 13h.

Ce projet de Jardin est un espace ouvert d'expression autour de la notion de GRATITUDE. Il pourrait voir éclore des mots (texte, poème, chanson…) des images (photo, peinture, dessin..), des gestes (danse, performance, action..), des sons, (musique, chants, cri..). C'est une mise en commun de récits, d'expériences, de sentiments, d'émotions, de mémoires, d'actions, de pensées, d'intentions, tournés vers la RECONNAISSANCE, le TSHINISHKUMITIN/MERCI d'être vivant.

Venez réfléchir avec nous dans ce jardin, nous serons heureuses de vous y accueillir pour le bâtir ensemble. »

Niaut !

13 mar. 2010

Kukum Germaine

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Cet après-midi le ciel était d'un bleu profond et le soleil radieux, j'avais presque chaud en remontant la grande rue Ouiatchouan. J'ai frappé à la porte du n°1936. C'est chez Kukum (grand-mère) Germaine qui habite une jolie maison au bord du lac. Sur la grande table de la salle à manger Germaine s'est installée pour broder la ceinture de son régalia (costume de danse) avec des perles qu'elle est allée acheter tantôt à Alma de l'autre côté du lac.

Elle me montre son jardin aujourd'hui envahit de neige et de glace qui dit-elle est merveilleux en été, un havre de paix. Doucement, elle ajoute que je pourrais y mettre une tente si je reviens à ce moment là. Germaine est douce et tendre et aime aider les gens.

Elle a accompli pas à pas son chemin de guérison. Elle me montre le bâton de paroles qu'elle a fabriqué, elle parle de son régalia qu'elle coût depuis plusieurs années patiemment. Ces objets l'ont aidé à retrouver l'estime d'elle même. Elle a 55 ans aujourd'hui et est restée presque muette durant des décennies."Avant je ne parlais pas".

Au pensionnat où elle a été enfermée durant trois ans elle ne devait pas parler, elle ne devait exprimer aucune émotion. Germaine dit qu'elle n'a pas subi de sévice . Sa cousine, compagne du même âge qui était enfermée avec elle, en a subi de terribles. Germaine n'a rien vu. Pourquoi se demande-t-elle ? Durant près de 45 ans, sa cousine s'est tue. Il y a deux ans au moment du processus de réparation , elle s'est mise à parler de son calvaire et Germaine a su.

De l'utilité de la photographe

_DSC8403.jpg Les membres de la société Guay-Blacksmith

Gérald Guay, le mari de Diane Blacksmith va venir me chercher tantôt pour que j'installe sur leur ordinateur quelques photos que j'ai prises pour leur nouvelle société de fabrique d'artisanat. Ils l'ont créée il y a quelques mois sur la réserve et se consacrent à la confection de raquettes, de luges, de tables peintes aux motifs autochtones. Ils veulent aussi donner des cours de menuiserie aux jeunes de la communauté et transmettre leur savoir faire. Lorsque j'ai rencontré Jean-René Blacksmith, le frère de Diane, pour parler avec lui et le photographier, il m'a tout de suite demander de faire quelques photos de leurs productions et de l'équipe car ils en avaient besoin pour faire leur publicité.

J'ai trouvé ça plutôt sympathique de participer à la promotion de la nouvelle société Guay-Blacksmith !

J'ai vu aussi il y a quelques jours, Louise Siméon en charge du service des archives du Musée qui m'a proposé de faire un don de toutes mes photographies et enregistrements. Selon elle, mon travail participe du travail de mémoire de la Communauté, indispensable pour les générations futures.

J'en suis très honorée.

11 mar. 2010

Numéro 70

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J'ai longuement parlé avec Harry Wylde, indien de la nation des Algonquins. Il s'est installé à Mashteuiatsh il y a déjà longtemps. Il dit que c'est le tambour qui l'a amené là. ll vit dans une maison sur la rue Mahikan avec sa femme et leurs trois jeunes petits enfants qu'ils ont en garde.

Harry peint des ciels d'un bleu profond éclairés d'étoiles et de songes. Ses visages d'autochtones ont des profils fiers, des regards incandescents. 3 silhouettes respirent au fond d'une tente de sudation où les pierre ont des visages, un canoë s'envole portant celui que ses parents n'ont jamais voulu, une légende... De ses rêves Harry fait naître des tableaux. Tous véhiculent la spiritualité autochtone qui selon lui est la seule voie de survie.

Le tambour, teuehikan en langue Ilnue signifie littéralement battement de coeur. Harry a appris à l'aimer, à le jouer, à le fabriquer. Il a été initié par un ami et a parcouru avec cinq autres joueurs tous les pow wow du Québec et sûrement du Canada. Le tambour est immense et livre à la terre mère d'énormes vibrations qui hypnotisent accompagnés des chants-prières de ceux qui le battent. C'est magnifique et envoûtant. Le tambour doit toujours voyager, personne ne doit le garder enfermé loin de l'assemblée des hommes. Il doit servir à chanter la vie et accompagner les danseurs.

Harry évoque aussi son enfance brisée par 3 longues années au pensionnat dans la section des jeunes enfants. Sur une fratrie de dix seuls les deux derniers y ont échappé. Une soeur y a séjourné 15 ans, un autre frère 8 ans.

Au pensionnat il est devenu le numéro 70. On l'appelait 70. Sur tous ses vêtements était inscrit 70. Personne durant ces longs mois d'enfermement ne prononçait son prénom car personne ne le connaissait. Interdiction formelle de se nommer et interdiction formelle de parler sa langue .

S'oublier, s'effacer, ne plus exister. Harry parle de brimades, de sévices, d'humiliation. Les enfants des pensionnats endossaient l'histoire terrible, véhiculée par les pères et mères de la Sainte Eglise Catholique, des diables peau rouge sanguinaires à exterminer.

Au mois de mai, Harry passe en conciliation pour réparation. Le gouvernement canadien indemnise les victimes. Il me confie qu'ensuite il se rendra sur les lieux de si triste mémoire pour ensevelir un bout de papier marqué du numéro 70, au milieu des décombres du pensionnat en ruines.

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