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Hier, je me suis longuement attablée avec Denis et Claudie dans leur grande cuisine chaleureuse, à manger de l'orignal. C'était délicieux, cuit à la façon de Denis dans une poêle généreusement beurrée avec du bon pain chaud, une purée onctueuse, de la salade et des légumes. J'étais heureuse de les retrouver pour blaguer avec eux des heures et des heures pareil à quelques soirées du mois d'octobre passé. Denis est un chaman ou un medecine man mais je sais bien qu'il n'aime pas du tout les étiquettes. Il est sage et aide bien des gens en détresse. Il a demandé son excommunication de l'Eglise catholique par lettre officielle envoyée au Diocèse à Chicoutimi. Quand il vous dit ça, je vous assure qu'on peut lire une belle et immense force dans ses yeux, une grande fierté. La discussion revient sur les pensionnats. Il est passé en commission en Août et toujours aucune nouvelle. Son dossier était irréprochable alors il n'a pas eu à subir une contre expertise. La juge s'est abstenue de lui faire jurer sur la bible. Il aurait de toutes façons refusé. Cette douloureuse histoire des pensionnats est partout ici. Je suis au bord de l'écoeurement. Le pire c'est qu'elle hante encore bien des vies. Bien sûr les vies des petites victimes, adultes aujourd'hui quand elles ont pu survivre, les vies de leurs enfants et celles de leurs petits enfants. J'ai déjà dit à quel point cette tragédie est une malédiction pour "des siècles et des siècles". Une destruction a petit feu, sournoise qui est inscrit dans chaque arbre généalogique, qui se transmet en héritage, inscrit dans le sang, les cellules de toute la lignée des familles. On ne pouvait pas mieux entreprendre un génocide. Entre 1920 et 1970, 150 000 enfants ont été enfermés dans les pensionnats indiens.

Mes amis disent que depuis 2005, date du début de la conciliation, les dépressions et les suicides se sont multipliés. Leur voisin n'a pas supporté de revivre la tragédie et s'est donné la mort cet hiver.

Le seul qui est jugé en fait dans cette affaire des compensations c'est la victime. Elle doit prendre un avocat, décrire ses sévices et les prouver, se faire expertiser et même contre expertiser. Pourquoi ? Pour un dédommagement financier. Jamais aucun des bourreaux ne sera amené au tribunal puisque une clause de protection a été prise par le Gouvernement Canadien pour protéger l'église catholique.

J'ai vu au Musée de Mashteuiatsh la très belle installation de Laurette Grégoire et Elisabeth Kaine intitulée " De terribles drames" où il est écrit :

"On a voulu nous forcer à la sédentarisation.

Mais nous avons été sans cesse déplacés, nos racines arrachées.

Mon frère s'est pendu, ma soeur aussi un peu plus tard

J'ai voulu en parler à mon père, il était ivre mort

Mon fils s'est suicidé à 17 ans, un oiseau tiré en plein vol

J'ai dit à ma fille que j'allais rester là dans ma chaise à ne plus jamais rien faire. A me laisser dessécher comme un vieux fruit ... "

Cet après midi j'ai marché le long du lac au soleil puis je suis montée jusqu'au monument à la Vierge qui honore la mémoire des prêtres oblats-bourreaux du pensionnat. Je me demandais pourquoi il n'y avait pas à sa place un monument commémoratif en mémoire des petites victimes

J'étais triste.