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Dernière matinée à Mashteuiatsh, je bois un café clair avec Réjane et Claude Robertson, les hôtes de l'auberge. Mariette, la soeur de Claude a tenu à venir me saluer avant mon départ avec un pot de ketchup fait maison. Elle sait que j'adore ce condiment de tomates rouges ou vertes à la fois sucré et vinaigré, mijoté longtemps avec des oignons et qui n'a absolument rien à voir avec l'infâme sauce des supermarchés.

L'autobus pour Québec ne partira qu'à 12h30 alors j'ai le temps pour une dernière visite ce matin.

Pierrette Benjamin et Gilbert Courtois habitent au 1503 Ouiatchouan et m'ont enfin donné rendez-vous. Quelquefois il faut du temps pour se rencontrer vraiment. Il y a la grande table chaleureuse de la cuisine où l'on s'installe pour discuter.

Je demande la permission d'enregistrer. Pierrette et Gilbert ont beaucoup à dire. Elle est enseignante en langue ilnu, nelheun, un mot bien difficile à prononcer. C'est une langue sourde qui semble sortir de la terre. Quand Pierrette parle en montagnais , je perçois des mots venus de la nuit des temps, de très loin. J'imagine les portages en canöe, les sources au fond d'une forêt, le craquement du bois.

Ils se sont mariés pour qu'on ne leur prenne pas leur enfant à la maternité. Dans les années 70, un médecin voleur d'enfants indiens faisait signer de drôles de papier aux femmes célibataires qui venaient accoucher, un acte d'abandon. Gilbert pense que c'était plus facile pour des familles québécoises d'adopter des petits autochtones que des enfants à l'étranger ; en même temps cela contribuait à l'assimilation. Encore une histoire effroyable.

Gilbert est un homme politique puisqu'il est un des six conseillers du Conseil de Bande. Dans moins de deux mois il y aura de nouvelles élections, il ne dit pas s'il se représente. Dans le programme "culture et patrimoine" il a oeuvré pour que " le territoire auquel nous appartenons" soit le socle du relèvement de sa communauté. "Le territoire auquel nous appartenons" signifie que la terre ne nous appartient pas mais que nous appartenons à la terre. C'est une toute autre conception de notre état d'être au monde.

Nous évoquons cette belle vision des hommes attachés à leur terre pendant que tendrement Pierrette partage la banique, le pain traditionnel. Elle m'en offre un beau morceau pour que je l'emporte avec moi.