l'immaculée

Je rentre du Makushan, le repas communautaire donné lors du rassemblement annuel pour la chasse au gros gibier. C'était en territoire, à la rivière aux écorces dans la réserve faunique des Laurentides. J'ai pris l'autobus scolaire devant le bâtiment du conseil de bande en compagnie d'habitants de Mashteuiatsh ce matin à 8h30. Thérèse était ma compagne de voyage et nous avons parcouru la route bordée d'arbres aux couleurs resplendissantes d'or, de vert foncé et de rouge en conversant tranquillement. Je parlais avec elle d'un Dominique ou d'un Germain,d'une Blacksmith, d'une Kurtness, d'une Connolly ou d'un Boivin... Ce sont les noms des grandes familles de la communauté. Si vous parcourez l'annuaire de la réserve vous verrez des listes impressionnantes de chaque nom. Il y a toujours des cousinages et des fratries à n'en plus finir, d'autant que les femmes gardent toujours leur nom de jeune fille. Au début j'étais pas mal perdue , en discutant avec Thérèse de toutes les rencontres que j'ai faites je vois que je m'y retrouve mieux. Le site du makushan était parsemé de tentes de prospecteurs avec chacune un poêle à bois dans lesquelles on pouvait se réfugier pour trouver un peu de chaleur. Aujourd'hui l'air était bien froid. Il y avait aussi le grand feu tout en longueur où des morceaux d'orignals, des outardes et des lièvres cuisaient à la ficelle. Albert Raphaël était sorti de son bois pour s'occuper de la cuisson des bêtes. Son visage est plissé de rides accueillantes, son regard est chaleureux, ses mains noueuses. Il vit le plus souvent assez loin dans la forêt avec sa femme Thérèse, c'est un bon chasseur.

J'ai rencontré deux kukum (grand-mères) Albertine, Mariette et sa jeune soeur Jeanne-D'Arc. Nous nous sommes attablées ensemble dans la grande tente. Elles m'ont confié quelques bribes de leur histoire. Elles ont parlé en ilnu, la belle langue qui chante. J'ai enregistré leurs témoignages. Albertine et sa cousine Mariette sont nées dans une tente au fond du bois, mises au monde par leur grand-mère. Jusqu'à l'âge de 6 ans, elles ont vécu au milieu des arbres, sur la terre accueillante avec leurs parents. Elles ne parlaient que le montagnais. Un jour les oblats sont venus les chercher et les ont amenées de force dans un pensionnat au nord, bien loin du territoire. Le pensionnat était tellement loin qu'elles sont restés deux ans sans revenir chez elles. Elles y ont été enfermées 10 ans. Le pire c'était le retour les mois d'été ; elles revenaient vers leurs propres parents qui ne les reconnaissaient pas, avec qui elles ne pouvaient plus parler. C'était une rupture terrible qui empêchait toute relation affective. Il n'y avait plus de transmission possible, l'identité se perdait. J'ai demandé à ces femmes comment leurs parents avaient vécu cette séparation forcée. Elles disent qu'elles ne savent pas, elles n'en ont jamais parlé avec eux. J'imagine ces pères et ces mères à qui on enlevait un à un tous leurs enfants.

Où que mes pas me portent ici, il y a la souffrance, la blessure d'un génocide. Alors, je me rappelle que la statue de l'immaculée conception érigée en l'honneur du pensionnat des oblats trône toujours au milieu du village de Mashteuiatsh .

Partout, je vois ici le courage et la fierté de relever le défi d'être un humain-Ilnu.

Je repars demain en France, merci à tous de m'avoir si bien accueilli chez vous. Je reviendrai bientôt. Niaut !