19 mar. 2010
A Mashteuiatsh, il y a bien des chicanes et comme partout ailleurs il y a des gens qui n'ont pas du tout les mêmes points de vues.
J'ai discuté ce matin avec Bruno Robertson, un sacré personnage. Je l'avais déjà croisé au Musée un soir de la semaine dernière et il m'avait impressionné. Il avait l'air d'avoir un foutu
caractère. Même si j'apprécie énormément son travail de sculpteur, j'avais décidé de ne pas l'approcher et d'attendre. En ce moment il expose des oeuvres au Musée en compagnie
de son voisin le peintre Harry Wylde.
Hier soir, lors de la soirée organisée par l'école Amishk pour présenter son hymne, Harry est venu vers moi et m'a dit " as-tu-rencontré Bruno Robertson ? Il t'as aperçu l'autre jour quand tu sortais de chez moi et il a demandé à te voir ".
Alors ce matin je cognais à sa porte qu'il m'ouvrit sur un salut bien sympathique. Trés vite, il m'avertit pas de photos et pas d'enregistrement.
La photo c'est immobile et lui il bouge trop.
Son oncle, ancien chef de la communauté lui a dit un jour "pars vers le nord, suis l'étoile polaire, là-bas tu trouveras une femme esquimau, tu t'embarques avec elle sur un bout de glace et tu tueras du phoque pour manger, tu seras heureux . "
Bruno sculpte le bois d'Orignal, les cornes de toutes sortes. Dans un bois il a fait naître une allégorie, l'histoire de l'homme blanc qui affame la terre avec son chapeau haut de forme trop grand, tout en peau de castor. On voit un indien décharné, il ne reste que l'os de des côtes , une plume émerge au dessus de sa tête pour s'épuiser dans une grande figure d'aigle au bec acéré.
C'est une oeuvre magnifique qu'il a fabriquée pour un de ses oncles. Il aime que ces productions restent dans la famille, ils ne souhaitent pas qu'elles partent trop loin de lui.
Bruno Robertson est un homme en colère, un sacré "sauvage", c'est moi qui le lui dit et il éclate de rire.
Il s'emporte et hurle presque du fond de sa cuisine en se resservant un café à propos de la spiritualité qui vient du sud. Il fait référence aux rites qui apparaissent depuis quelques temps dans les communautés par ici au Québec, ramenés par quelques "chamans" depuis le Dakota du Sud ou d'autres coins des Etats-Unis.
Pour certains ces pratiques étaient là bien avant l'arrivée des curés, ont disparu avec l'évangélisation forcenée. Elles ont été tenaces et vivaces dans les terres plus reculées de l'ouest et du sud du continent américain.Alors ils les ramènent, pour eux c'est un juste retour des choses.
Il devait bien y avoir quand même une spiritualité sur ces terres de la côte Nord avant l'arrivée de l'Eglise, qu'elle était-elle ? Selon lui, personne ne sait, il aurait fallu demander aux anciens.
Je trouve qu'il y a bien des tiraillements sur cette question des croyances, de la spiritualité et de la religion.
Pointe bleue est une communauté très métissée et très "évoluée" sur le plan économique, proche de centres urbains avec près d'une centaine de petites entreprises privées.
La plupart des gens sont métis de père, mère ou grand-père, grand-mère québécois d'origine européenne catholique ou anglicane.
Pourtant, ils affirment tous avec force leur identité autochtone et sont fiers d'appartenir à la nation des Pekuakamiulnatsh, les hommes du lac peu profond.
Chacun revendique son identité, sa culture et sa langue comme son chemin de vie. Exister par l'appartenance à son peuple parce qu'un jour l'Ilnu a failli disparaître, c'est un acte de survie.
Certains disent que le chemin rouge, le chemin de la spiritualité autochtone est la voie de la guérison et ils réaprennent auprès des frères du Dakota à danser, à se sacrifier, à fumer le camulet.
D'autres encore vont à la messe, se rendent en pèlerinage au sanctuaire de Saint-Antoine et osent quand même pénétrer avec les grand-pères et les grand-mères dans la tente suante qui purifie.